L’autocompassion

Le manque de la confiance en soi et l’estime de soi sont, nous le savons tous intuitivement et les études scientifiques l’ont amplement confirmé, une conséquence des traumatismes et carences subis dans l’histoire de l’individu, qui à leur tour sont à la base de nombreux problèmes humains. Il semblait donc logique de croire que l’antidote serait de cultiver l’estime de soi.
C’était « la » tendance pendant les vingt dernières années, et même avant.
Hélas les résultats n’étaient guère enthousiasmants.
Non seulement on a commencé à avoir trop peur de « blesser » autrui, ce que trop souvent voulait dire que l’on s’interdisait d’interdire, que l’on évitait des réponses qui pourraient « frustrer » l’autre, etc. Une telle tendance trop protectrice fragilise et crée des problèmes dans l’établissement et maintien des limites nécessaires.
On a aussi dû constater que cette culture de l’estime de soi n’a pas tellement « guéri » les blessures plus anciennes, mais les a surtout masquées. Une lutte avec soi-même, voire l’aliénation de soi, et la peur de l’échec, risquent alors de s’incruster. Ce qui expliquerait aussi que l’on a constaté que cette culture de l’estime de soi alimente souvent le narcissisme…
La bonne nouvelle est que des chercheurs comme Kristine Neff ont non seulement fait ce constat d’échec, mais aussi établi que la compassion envers soi-même permet d’obtenir ce que l’on cherchait en cultivant de l’estime de soi (notamment une plus grande acceptation de soi-même et les autres, ainsi qu’une plus grande capacité à s’apaiser pendant et après des situations douloureuses).
Il est pertinent de mentionner aussi que l’autocompassion active l’ocytocine. Cette ocytocine est de façon un peu trop simpliste souvent appelé « l’hormone de l’amour » (car très important dans le lien entre mère et nourrisson, dans la tendresse et les rapports sexuels, dans le confiance que l’on a dans autrui et donc dans l’aisance que l’on ressent pendant que nous communiquons avec d’autres personnes). L’ocytocine a un effet anti-stress apaisant et bienfaisant, on pourrait dire « chaleureux ».

Des études récentes suggèrent que l’administration de l’ocytocine réduit l’anxiété social. Mais comme l’administration d’autres médications l’a montré, des interventions externes peuvent déstabiliser l’organisme. Cela semble moins le cas quand on sait comment activer des neuro-messagers du corps lui-même. Comme par exemple en cultivant l’autocompassion…
Un autre problème avec l’administration externe de l’ocytocine est qu’elle nous facilite la proximité avec ceux qui nous sont proches, oui, mais malheureusement aussi risque d’alimenter des sentiments peu accueillants vers ceux qui ne font pas partie de « notre groupe ». Ce qui fait sens dans la perspective des sciences de l’évolution. La conséquence risque d’être que ce présumé « neuromédiateur de l’amour » alimente aussi des comportements xénophobes… Avec la culture de l’autocompassion cela n’est pas le cas, plutôt le contraire : l’autocompassion facilite la compassion pour les autres, des être humains comme nous, tous avec leurs qualités et faiblesses.

Le développement de cette autocompassion est donc un thème central dans mes approches. Ce qui explique aussi pourquoi, quand on utilise des outils de l’automassage (pendant que l’on fait face aux souvenirs douloureux voire traumatisants) il s’agit moins de toucher le « point » exact de façon mécanique (comme des points dits « d’acupuncture », utilisés dans par exemple l’EFT) que de le faire avec une attitude d’autocompassion. En d’autres mots, il est plus bienfaisant de toucher de façon « techniquement fausse » mais avec une attitude d’autocompassion, que de toucher de façon technique « le point exact » – exact selon des théories qui sont, d’ailleurs, controversées…

Une question qui émerge souvent quand le sujet de l’autocompassion est abordé est : « N’est-ce que cela ne me rend pas « trop mou » (ou « trop vulnérable », ou « trop paresseux ») ?
En fait, les données scientifiques montrent l’inverse : on devient plus courageux (la tendance d’éviter des situations difficiles, pour ainsi éviter les expériences douloureuses, devient moindre), plus autonome (mieux on peut se soigner, moins on est dépendant des soins des autres), et la motivation d’agir en cohérence avec ses propres valeurs est moins bloquée.

Page suivante