La cognition incarnée (en anglais : « embodied cognition »)

A l’école, on « cultive l’intelligence » en restant immobile dans sa chaise. Ce qui suggère depuis très tôt dans notre vie que « la pensée, c’est dans la tête et le corps n’y est que pour peu ». Ceci est peut-être encore plus flagrant dans la culture française, réputée cartésienne.
Il s’agit d’une erreur importante. Comme le suggèrent par exemple ces données scientifiques :

    • Le livre du neuroscientifique A. Damasio :« L’erreur de Descartes » a montré que l’émotion est crucial dans la pensée, surtout quand nous devons prioriser ce qui est important et ce que l’est moins. Donc sur quoi nous devrons réfléchir et sur ce qui est à exclure de nos activités cognitives. Donc la culture d’une vraie intelligence exige aussi la capacité d’accueillir et bien gérer nos émotions et ressentis, qui se manifestent dans notre corps (c’est pour cela que Damasio parle des « marqueurs somatiques »).
    • L’imagerie cérébrale a montré que dans nos activités cognitives le cervelet est très impliqué. La fonction primaire du cervelet la mieux connue est d’activer et coordonner nos mouvements corporels. Pour simplifier un peu, on pourrait dire que, pour le cerveau, « penser = bouger » (ou « manipuler des symboles », comme nous manipulons aussi des objets à l’extérieur de nous).

Autre détail intéressant : le système vestibulaire, qui gère notre posture et notre équilibre, est très fortement lié au cervelet.
Et finalement, il y des connexions importantes entre le cervelet et les lobes préfrontaux, « site » de nos capacités d’anticiper les conséquences de nos actions (ce qui inclut nos raisonnements), de gérer nos émotions, de notre empathie et de nos intuitions.

  • Ce qui indique, sous un autre angle, le lien direct entre mouvement et pensée: d’autres études ont montré que l’on peut difficilement exprimer ses pensées si l’on ne peut pas bouger ses mains. C’est en partie pour cela que, dans mes approches, l’attention est régulièrement portée sur les changements de posture et les gestes spontanées, qui émanent dans le dialogue thérapeutique.
  • Les études comportementalistes les plus avancées sur la cognition (élaborées dans la « Théorie des Cadres Relationnels », en anglais « Relational Frame Theory ») sont un développement très fructueux des études entamées par F.B. Skinner sous le nom  « Comportement Verbal ». Ce nom suggère déjà que penser est un comportement, et que les comportements verbaux (se souvenir, anticiper, créer et organiser des symboles, décrire son vécu, etc) obéissent largement aux mêmes lois que les comportements directement observables de l’extérieur. Et ces derniers sont forcément des mouvements corporels.
  • Le neurobiologiste Francisco Varela et le linguiste Mark Johnson ont, chacun de leur côté, élaboré en détail pourquoi l’on devrait considérer la cognition comme « incarnée », indissociable des réponses de l’organisme humain situé dans son monde. Qui plus est, Mark Johnson et son collègue George Lakoff ont détaillé l’importance de la pensée métaphorique, notamment dans nos activités cognitives abstraites. Raison de plus pour porter son attention sur les métaphores qui émergent spontanément en thérapie. Et quand on devient plus attentif, on peut observer facilement que l’élaboration de ces métaphores est souvent accompagnée par les mouvements corporels, confirmant ainsi ces modèles de la cognition incarnée et les rendant pertinents pour ma pratique psychothérapeutique.

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